mardi 9 février 2010

Attaque de cannibales

En attendant le tome 5, le 17 mars, voici un extrait :

— Au lever du jour, annonça Ramón qui agissait à titre de maître-calfat, tandis que ses compagnons et lui se balançaient déjà dans leur couche de gossapin, on terminera l'étoupage de l'étambot avant de déjeuner.

— Pourquoi c'te faire d' chauffer l' goudron et de l' laisser fraîchir ensuite pendant qu'on bectera? demanda Gustavio de sa voix bourrue habituelle.

— Parce qu'on profitera du feu pour chauffer les graines de cacao que j'ai grappillées sur le plancher quand on a vidé les cales du dernier butin, répondit Ramón, et qu'on se pourra délecter de xocolatl pour déjeuner.

Otavio éclata de rire en secouant si fort son hamaca que les cordes grincèrent contre les esses du plafond.

— Du chocolat ! s'exclama-t-il. On boira du chocolat ainsi qu'un...

Il s'interrompit si mal à propos que Gustavio se tordit dans sa couche pour tenter d'apercevoir son compagnon du coin de l'œil. Mais les nuages denses qui avaient déjà masqué la lune ne permettaient miette de voir à deux palmes. Le petit bout de chandelle qui avait éclairé la proue le temps de s'installer pour la nuit, par souci d'économie, avait déjà été soufflé par Ramón. Gustavio s'étonna :

— Eh ben, 'tavio ? On boira l' chocolat ainsi qu'un quoi ?

Un bruit de pied nu sur le bois...

— T'es r'levé, 'tavio? Qu'est-ce y a ?

Silence. Un chuintement. Un petit glouglou.

— 'tavio? T'es endormi en jactant ou quoi ? Ramón, tu dors toi ?

Silence.

Pied nu sur le bois.

Gustavio se redressa à demi, les mains sur le rebord du hamaca, prêt à sauter sur le plancher... Il s'immobilisa de nouveau. Il sentait une présence à la tête de sa couche, il en était acertainé. Le calfat avait toujours profité d'une ouïe fort fine et il percevait, quasi-inaudible, une sorte de halètement retenu, lourd, menaçant, un autre glissement sur le bois, un cliquettement ainsi qu'un pendentif se balancerait sur la peau, un zemí d'os, par exemple, ou un collier de dents... Il retint son respire, plissa les yeux comme pour mieux percer l'obscurité.

À la seconde où il élut de crier, une main s'appliqua avec force contre sa bouche, renversant sa tête en arrière, le plaquant dans son hamaca. Il se débattit une seconde, le temps d'estimer inutile de lutter contre le bras beaucoup plus fort que le sien, de penser à se laisser glisser pour échapper à la poigne... puis de ressentir une forte lancination au thorax. Une deuxième douleur succéda à la première, une troisième le meurtrit à l'abdomen, une quatrième lui vrilla de nouveau la poitrine tandis qu'il y portait la main. Ses doigts se refermèrent sur un objet dur baigné de liquide chaud. Il reconnut la lame d'un poignard qui s'extirpait de son sternum, sans toutefois ressentir le mouvement dans ses chairs, car son tronc entier ne renvoyait plus qu'une immense souffrance.

Il mourut.
Pirates, tome V
Trésor Noir
© Éditions Hurtubise, mars 2010

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