Dans cette ville, il y a un journal appelé El Diario. Chaque jour, on y retrouve, à la une, à la deux, à la trois et aux suivantes, les horreurs que la ville a générées la veille. Chaque jour. Les exécutions entre narcos ennemis; la saga d'une femme qu'on appelle « Diana, la chasseresse » et qui poursuit les violeurs reconnus, mais que la justice ne parvient pas à épingler, et qui abat sans pitié ces présumés agresseurs; les descentes dans les bars et les casinos clandestins; les règlements de compte; les policiers, les juges, les politiciens abattus parce qu'ils refusent de se laisser corrompre — il y en a, paraît-il —; les viols; les meurtres d'enfants... Mais il y a pire, Guadalupe! Ça paraît insensé, mais il y a pire. Tu sais ce que ce quotidien publie de temps en temps en première page et en extra gros caractères? Comme une nouvelle extraordinaire? El Diario claironne que, parfois, la veille, à Ciudad Juárez... il n'y a pas eu de meurtres! ¡Ay de mí, hermana! C'est si rare que, en ces occasions-là, le journal en fait sa une!
[...]
Grand-mère disait — tu te souviens? — : Juárez est une ville magnifique, aux avenues grandes et proprettes, avec son fleuve et ses montagnes, son désert et son ciel ardents. Juárez, c'est El Paso del Norte, le Passage vers le nord, rebaptisé Heroica Ciudad Juárez en l'honneur de notre héros national Benito Juárez qui a résisté aux Français et à l'empereur Maximilien au XIXe siècle.
Ça, c'est la Juárez de grand-mère.
Mais elle ne connaît pas tout de sa ville. Elle ne connaît pas la Juárez où j'ai échoué.
C'est l'enfer, Guadalupe. J'ai abouti en enfer.
Les Forces du désordre
© Camille Bouchard, 2014
Roman à paraître
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