mardi 14 juin 2011

La Religion des autres - Extrait 1

Je le dis souvent, je vous gâte sans bon sens avec ce blogue, mais je n'y peux rien, je vous aime trop.

Allez, pour preuve de mon amour inconditionnel, voici les toutes, toutes, toutes premières lignes du premier chapitre du roman qui mettra fin à ma série Pirates aux Éditions Hurtubise.

Ne venez pas me dire que vous n'êtes pas des privilégiés de la vie !

Quelque part dans la mer des Caraïbes, en l'an de grâce 1571

La dentelle qui décore la robe me chatouille le visage. Je la repousse avec un mouvement agacé de la main, mais le vent, obstiné, la ramène sans cesse sur mon nez.

Le pirate qui a enfilé le vêtement féminin est un Amériquain de la nation Kalinago — ou Caraïbe — ; un cannibale. Il a noué ses longs cheveux noirs en un chignon négligé et laisse flotter des mèches derrière lui à la manière d'une jeune fille insouciante. Pour parfaire l'illusion d'une passagère anodine, il tient un livre. Il feint d'être si concentré dans sa lecture qu'il — ou elle — ne remarque pas le navire approchant. Un œil attentif, toutefois, noterait que le bouquin est orienté à l'envers.

Moi, je le distingue très bien, je suis assis aux pieds de la fausse demoiselle. Nous sommes sur le pont de l'Ouragan, le long du bastingage.

— Par Mápoya ! que je murmure en caribe, la langue kalinago. Retiens tes jupes sinon je découpe le foutu tissu avec mon poignard.

— Calme, Gédéon, réplique Maoualie, le cannibale, sinon je te balance à la mer à coups de pied au cul.

Sur toute la longueur du tillac, imitant un équipage inoffensif, quelques pirates vaquent à des occupations de routine : Santiago brique le pont avec une serpillière faite de cordages ; Grenouille ravaude un coin de voile ; le Jésuite, bure agitée par la brise, mains croisées dans le dos, semble méditer ses prières en posant un œil distrait sur le bâtiment qu'on rattrape ; Carabois trie des clous usés ; Bec-de-Flûte, assis près d’un râtelier, embout de flageolet aux lèvres, joue une petite musique allègre...

À quelques toises, El Ambicioso, un lourd galion espagnol de vingt-huit canons, se laisse hausser vague après vague. S'il était possible aux matelots de son personnel d'être un peu plus observateurs ou de considérer l'Ouragan d'un angle plus élevé — du haut de la pomme du grand mât de hune, par exemple —, ceux-ci seraient en mesure d'apercevoir les dizaines de forbans camouflés le long du pavois ou sous le gaillard de proue, poignards entre les dents, pistolets ou sabres au poing, n'attendant que le bordé ennemi soit assez près pour lancer les grappins.


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