Pas un matin. Pas un matin où je ne me lève avec le doute. Pas un matin où je ne me dis que je ne suis pas vraiment un créateur. Que ce que j'ai écrit la veille, c'est poche, à la limite, stupide.
Pas un matin.
La reconnaissance des pairs ? Les prix littéraires ? Une simple suite de circonstances, un alignement des planètes, mais le talent, rien à voir. Surtout pas le talent. Car si j'avais du talent, tout serait simple, facile, tout coulerait de source, la certitude serait omniprésente, je n'aurais pas sans cesse ce sentiment du travail inachevé, de la phrase paresseuse, de la scène incohérente, du personnage inconséquent... Si j'avais du talent, si j'étais
vraiment un créateur, je ne me lèverais pas avec l'impression que ma vie n'est qu'une immense imposture.
Les lecteurs qui nous écrivent ? Émus ? Enthousiastes ? Un sur combien de milliers qui n'ont pas fini le livre, qui ont grogné, bâillé, juré, l'ont abandonné ? Un sur combien qui jamais ne nous écriront pour nous faire part de leur déception ?
Alors, pourquoi continuer ?
Parce qu'il y a aussi le doute que, finalement, malgré tout, on est
peut-être un créateur.