jeudi 19 juin 2008

Pirates 3, extraits

Ma bande de privilégiés, vous autres ! Puisque vous êtes non seulement nombreux maintenant à fréquenter ce blogue, mais parce que plusieurs parmi vous sont d'une indéfectible fidélité, je vous offre en guise de récompenses (et de félicitations pour votre année scolaire qui s'achève) un premier extrait de Pirates, tome 3, L'Emprise des cannibales.

Je ne dormis guère, cette nuit-là. La présence en face de nous d'une île surabondant de mangeurs de chair humaine provoquait chez moi un malaise indicible. Je n'avais pas peur, non. Il s'agissait plutôt d'une gêne, d'une répugnance, qui me venaient à imaginer des scènes de cérémonie païennes où des mâchoires d'hommes mastiquaient des cuisses d'hommes, des bras d'hommes, des pieds d'hommes...

Ma révulsion ne venait pas du fait que je fus si chrétien, car de religion, je n'en ai guère pratiqué dans ma vie et moins encore à cette époque pendant laquelle je parcourais les mers en rapinant et tuant, le juron toujours aux lèvres, invoquant le diable ou des démons indiens chaque fois que mon sabre tourbillonnait au bout de mon bras ou que mon indice appuyait sur la détente d'une escopette. Non. Mon dégoût venait plutôt de mon origine, d'une société qui n'était pas exempte d'horreur, mais qui ne pratiquait pas le cannibalisme. Dans le monde dont j'étais originaire, un guerrier vainqueur ne mangeait pas la chair d'un guerrier vaincu quand bien même fut-ce dans l'espoir d'en acquérir le courage, la force et les vertus. Un acte tel équivalait à se rabaisser au rang des chiens, des bêtes. Il n'était pas possible que nous fussions des hommes si nous nous mangions entre nous. Les Sauvages, du moins les cannibales, les Caribes, n'étaient donc pas humains, tandis que nous, les Blancs, en compagnie des Taínos ou des Guaranis, nous pouvions y prétendre.

À l'époque, je croyais si fermement à cette norme qu'elle me paraissait d'une infrangible incontestabilité. Aujourd'hui, après toutes les abominations dont j'ai été témoin, j'en doute.

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