vendredi 25 septembre 2009

Un massacre magnifique

Parce que vous êtes des lecteurs de ce blogue, vous avez droit à des privilèges que mêmes les plus riches ne peuvent se payer. Voui, mes petits iguanodons à la graisse de hérisson, voici en primeur quelques lignes du roman que j'ai entrepris il y a un mois et sur lequel je plancherai tout l'hiver. Personne encore n'a eu droit à cette faveur immense qui vous échoit aujourd'hui (bande de veinards!), à part ma nièce, grande lectrice devant l'Éternel, qui a droit à des privilèges (ne rouspétez pas, c'est comme ça!). Voilà. Je suis tout ému pour vous.

Il y avait l'horizon et, par-delà celui-ci, un autre horizon. Un monde de lumière et d'eau, une ligne courbe, infinie, trop blanche dessus, trop bleue dessous, bossuée en collines saphir quand nous avions à nous effrayer de quelque grain, ou épandue en une plaine turquoise quand se mourait le vent. Lors, notre mauvais brigantin, voiles faseyant, n'évoquait plus qu'une tavelure infime sur la peau coruscante de l'onde, un gisant de chair, de sel, piégé entre marteau de feu et enclume d'eau.

Sans plus les maigres victuailles que nous avions emportées, la soif, au-delà de la faim, s'avérait notre ennemi le pis.

— De l'eau, de l'eau partout...
— ... et pas une goutte à boire*.

Nous étions une vingtaine — peut-être vingt-deux, ou peut-être moins, c'est vrai, Rouffi avait préféré rester dans la forêt au milieu des Sauvages — nous étions une vingtaine, dis-je, de naufragés à prier chaque jour, du moment où le soleil paraissait au levant jusqu'à ce qu'il disparût au ponant, et même après, même quand la nuit avait refermé sur nous son couvercle d'étoiles, à prier, prier toujours, pleurer et prier, que notre Bon Dieu, Lui en qui nous avions placé notre salut, Lui à qui nous offrions nos peines, veuille bien, justement, abréger icelles.

Il faut croire qu'Il estimait trop peu nos souffrances en regard de nos péchés pour daigner jà se pencher sur notre infortune. Et de péchés, nous en avions fort à nous faire pardonner, ne serait-ce que pour la trahison du gentilhomme qui avait engagé sa confiance en nous... ou pour le meurtre de notre commandant.

Pourtant, de trahison et de meurtre, nous n'allions point tarder à pousser plus loin l'horreur encore, au-delà de tout ce que, de ma vie — jeune, certes —, il m'avait été donné d'accomplir.

* Complainte du vieux marin, Samuel Taylor Coleridge.

Extrait de Un massacre magnifique
(titre de travail provisoire)

Roman pour jeunes adultes
(subvention du Conseil des Arts et des Lettres du Québec)
Parution prévue : automne 2010

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