jeudi 10 juillet 2008

Pirates 3, deuxième extrait

Pas besoin d'être un désaxé pour inventer des scènes tordues lorsqu'on écrit sur la conquête des Amériques. Il suffit de lire les comptes-rendus des témoins de l'époque. Je pense, entre autres, au dominicain Bartolomé de Las Casas dont un des épouvantables témoignages m'a inspiré la scène suivante :

— Maïs et yucca, dit Patino. Suffisamment pour nous refaire des forces.

— À nous et aux esclaves, oui, répliqua de Navascués. Mais pour les mâtins...

Avant que la femme n'ait le temps de réagir, il se pencha pour attraper l'enfant par le bras.

— Tiens, Bristol, mon beau! Dis-moi si tu aimes le goût du singe.

Et il lança le petit au molosse. Le hurlement de la femme se confondit dans les aboiements des chiens qui se jetèrent sur le garçonnet.

La Naturelle bondit vers la scène, mais, d'emblée, se trouva arrêtée, sans plus pouvoir avancer. Elle baissa les yeux sur l'obstacle qui la retenait et reconnut l'une des longues lames des visiteurs. Elle l'empoigna à deux mains dans l'idée de la repousser, mais, contre toute attente, ne parvint à la déplacer. Il lui fallut encore une ou deux secondes avant de comprendre que l'arme avait perforé son ventre et la pénétrait profondément, transperçant son foetus. Ses yeux incrédules se posèrent alors sur les pupilles grises de de Navascués. Ce dernier, d'un mouvement sec du bras, retira la rapière, sectionnant dans le mouvement les paumes de la femme. Aux prises ex abrupto avec une douleur qui la saisit dans son corps entier, elle s'écroula, hurlante, dans un giclement de sang. Incontinent, deux des mâtins abandonnèrent l'enfant pour se jeter sur cette nouvelle source de viande fraîche.

— Deux vies d'une seule estocade, s'esclaffa l'alférez. Ce n'est pas fréquent.

— Quand Dieu guide nos actes, nos efforts sont ménagés.

La détonation d'une arquebuse interrompit le rire des deux hommes. Trois autres salves couchèrent autant de Naturels qui arrivaient en courant. Mais la bataille ne dura guère. Deux fillettes d'une dizaine d'années se présentèrent, une hotte de yucca sur le dos, pour s'enfuir aussitôt en abandonnant leur fardeau. Quelques moulinets de rapières tuèrent encore deux femmes et un garçon qui n'avait pas treize ans, puis le silence retomba sur le brouillard.



Aucun commentaire:

Publier un commentaire

Merci de laisser votre commentaire. Vous lire sera un plaisir.