jeudi 16 août 2007

Trente-neuf

J'ai terminé aujourd'hui la première version d'un roman historique pour les 11 ans et plus. Environ 22.000 mots. Grosso modo, pour la longueur, c'est l'équivalent de La Marque des lions. Mais le thème en est tout à fait différent. En gros, voici :

Le jour de Noël 1492, l'un des trois navires de Christophe Colomb, la Santa-Maria, s'échoue au Nord d'Haïti. Pour revenir en Espagne, l'amiral doit abandonner 39 hommes sur l'île. Quand l'explorateur revient en novembre 1493, tous les hommes sont morts. Je raconte ce qui leur est arrivé à travers les yeux de deux garçons de 13 ans : Jorge, un mousse espagnol, et Baguanamey, un Taino, tribu habitant l'île.


Je laisse ce texte macérer quelques semaines dans mes transistors puis je le reprendrai afin de le corriger un peu. Dès après, il part chez l'éditeur. Lequel ? Ah, mais, attendez un peu, bande de curieux. J'ai bien une entente verbale avec quelqu'un, mais rien n'est encore signé. Je vous en reparlerai d'ici octobre. Le titre provisoire est : Trente-neuf. Si tout va selon le calendrier prévu avec l'éditeur prévu, le roman paraîtra au printemps 2008.

Parce que vous ne m'avez pas interrompu pendant mon travail, je vous laisse un petit extrait :

Tout se passe si vite que je ne remarque rien. Puisque je suis légèrement en retrait de mon oncle, je m’étonne seulement de cette étrange excroissance que je n’avais pas remarquée entre ses omoplates. Environ la grosseur d’une main, rouge et visqueuse. Je la vois bouger puis disparaître. Ce n’est que lorsque oncle Orocovis s’écroule par terre que je reconnais la pointe du long couteau souillé de sang entre les mains du señor Pedro.

— Oncle Orocovis !

Je plonge vers le corps agité de spasmes tandis que j’entends Jorge hurler au-dessus de nous :

Don Pedro ! Juste ciel ! Qu’avez-vous fait ?

La réplique se perd dans un fracas comme je n’ai jamais entendu. À travers la fumée que provoquent les armes de tonnerre, je distingue quelques vagues silhouettes qui s’effondrent ici et là. Assourdi par les détonations, mes oreilles ne renvoient plus qu’un long sifflement qui me prend la tête.

Je me recroqueville sur le corps d’oncle Orocovis, mon visage contre le sien, mes yeux dans les siens. Je le vois cligner des paupières, une fois, deux fois, puis ses pupilles restent fixées sur les miennes. Le cercle noir en leur centre s’ouvre et je vois s‘y refléter ma mine affolée.

Mon oncle, mon oncle adoré, est parti pour Coaibai retrouver nos ancêtres.

Jorge apparaît à côté de moi. Ses lèvres bougent, mais je n’entends pas. Il pleure. Il s’étend sur moi et sur oncle Orocovis comme pour nous fabriquer un rempart de son corps. Pour nous protéger. Ses larmes coulent dans mon cou.

Au diable, les dépenses! Voici un autre extrait :

— Les plumes !

Baguanamey se dirige vers moi en rampant sur les coudes. Je ne pense même plus à mon oreille et à la douleur qui m’étourdit.

— Les plumes ! répète Baguanamey.

— Quoi, les plumes ? Que racontes-tu ?

— Les plumes sur les flèches. Il s’agit d’oiseaux qu’on ne trouve que sur les hauteurs des collines de Magana.

Je vois mes compatriotes tirer à l’aveuglette dans la frondaison, incapables de repérer l’ennemi invisible. Ils s’écroulent les uns après les autres, transpercés de flèches et de zagaies.

— Ce ne sont pas les nôtres qui attaquent, hurle Baguanamey au milieu du vacarme. Ce sont les hommes de Caonabó.

Masqués par la fumée des derniers tirs d’arquebuse, courbés autant que possible, nous quittons la clairière près du marais pour plonger dans la frondaison. Nous ne parcourons pas plus de distance que nécessaire, car nous ne voulons pas nous trouver face à face avec un guerrier de Magana.

Camouflés à plat-ventre sous un buisson touffu, surpris par le silence soudain qui s’est abattu sur la forêt, nous attendons que la brise éclaircisse le paysage et nous dévoile la scène. Le côté de mon visage continue de me renvoyer une douleur cuisante, mais la tension du moment parvient à me la faire oublier. On dirait même que les saignements ont diminué.

— Nila est morte.

Baguanamey a murmuré si bas que je ne suis pas certain d’avoir bien entendu. Je murmure à mon tour :

— Que dis-tu ?

Son visage prend une telle expression de détresse que je n’insiste pas. J’ai compris.

— Je n’ai plus personne au monde, dit-il après un moment.

Je ne sais plus s’il me parle à moi ou s’il fait ce constat pour lui-même. Malgré cela, je me sens tenu de le conforter. Je murmure de ma voix la plus sincère :

— Tu as moi, Baguanamey. Je te jure que c’est pour la vie. Tu as moi.

Il me regarde de longues secondes, les yeux fixes, avant de demander enfin :

— Tu crois que mon oncle Orocovis est dans ce Paradis dont tu parles tout le temps ? Avec ce Dieu et ce Jésus que tu connais si bien ?

Je prends une mine encore plus triste. J’aimerais l’encourager, mais je ne peux pas lui mentir.

— Non, avoué-je. Je… je ne crois pas. Ton oncle n’était pas baptisé. Seuls les chrétiens baptisés ont le droit d’entrer au Paradis.

À ma grande surprise, il sourit et réplique :

— Tant mieux, alors. Je ne voudrais pas que mon oncle soit obligé de côtoyer d’autres chrétiens pendant l’éternité.

4 commentaires:

  1. Si on devine le nom de l'éditeur, on gagne quoi?

    Je t'embrasse,

    Sylvie M.

    RépondreEffacer
  2. Mon admiration éternelle.

    Je te bise de retour.

    RépondreEffacer
  3. Alors je mise... sur HMH.

    C'est un de tes éditeurs et de plus, leur catalogue compte plusieurs oeuvres historiques.

    So? J'ai ton admiration éternelle?

    Sylvie xxx;-)

    RépondreEffacer
  4. Bel essai. Hélas, bien que je verrais très bien également HMH publier ce roman, ce n'est pas l'éditeur mystérieux. Déjà, HMH publiera ma série "Pirates", tu vois leur prochain catalogue n'être composé que des textes de Bouchard?

    Mais bon, tu fais tellement du beau travail au Salon du livre du Saguenay/Lac-St-Jean que je t'admire pareil. XXX

    RépondreEffacer

Merci de laisser votre commentaire. Vous lire sera un plaisir.