vendredi 11 janvier 2008

La Fureur de Juracán

Extrait de Pirates II - La Fureur de Juracán :

— Défiez-vous!

Le cri est venu de l’autre extrémité du tillac : un matelot pointe son indice tremblant en direction de la poupe. Feulion et son second lèvent la tête pour apercevoir, presque à la hauteur des hunes, arrivant avec un beuglement assourdissant, une lame furieuse, démesurée, dont les griffes d’écume, agrippées à la base des nuages, s’apprêtent à s’abattre sur les navires. La cime se déroule en un mouvement lent, presque pervers, avant de se jeter avec fracas sur le château de poupe. Elle balaie le pont de débris arrachés aux manœuvres et à la charpente, étouffe les canons au passage, et déverse sa violence jusqu’à la proue où elle se fond dans la mer en emportant deux hommes.

Le safran, heurté par le travers, secoue si fort la mèche du gouvernail, que les trois marins à la barre sont projetés à terre. Ils se relèvent incontinent pour tenter de redresser l’orientation du Géhennes qui, un câble rompu net sous le bossoir de capon, vient maintenant à l’appel de la seule ancre qui lui reste, tournoyant si fort qu’il embarque à tire-larigot.


Et, plus loin :

— Voiles à bâbord!

Le cri est venu de Lionel, sur les enfléchures, à mi-chemin entre le pont et la hune de misaine. Tous les pirates se précipitent au bastingage. Une silhouette minuscule apparaît et disparaît au gré du mouvement des flots, voile, hunier et perroquet du grand-mât déployés.

— Espagnol? demande Cape-Rouge qui, décidément, possède la plus mauvaise vue de tous. Vous voyez un pavillon?

— Difficile à dire, concède N'A-Qu'Un-Œil.

— Tu vois un pavillon? répète Urbain en hurlant à Lionel toujours dans les haubans.

— Aucun, répond le mousse. Mais je crois bien le reconnaître, malgré tout. C’est un brigantin.

— Corboeuf! jure Urbain. Le Géhennes.

— Le Géhennes, ricane N'A-Qu'Un-Œil, sa pupille unique fixée sur l’horizon. Ce serait trop beau.

— On s’ le fait, cap’taine? demande Grenouille qui n’a pas encore décoléré de n’avoir pas fondu sur les envahisseurs de Lilith.

— On va sus au brigantin? renchérit Main-de-Graisse qui n’est pourtant pas le premier, de coutume, à vouloir plonger dans la bataille.

Cape-Rouge, ses lèvres réduites à une mince ligne au milieu d’une barbe de deux jours, prend le temps de jauger le ratio de fatigue envers la soif de revanche qui anime le regard de ses hommes. Lui-même, en sa poitrine, sent son cœur reprendre un rythme puissant qui souffle épuisement et lassitude, et engendre un regain d’énergie qui gonfle les bras, redevenus impatients de manier le sabre. Il pointe l’indice vers les jumeaux et ordonne :

— Barre à bâbord, grand largue! Approchez-vous de ce cocher de fiacre!



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