vendredi 18 avril 2008

Lecture publique

Je pars tout à l'heure pour le Salon du livre de Québec. Aujourd'hui, je n'ai pas de séances de signatures, mais ce soir, je fais la lecture publique d'un extrait de Pirates, tome 2 - La Fureur de Juracán dans le cadre de l'activité Hommages à quatre voix du Conseil des Arts du Canada.

Pour vous récompenser de lire ce blogue régulièrement, ma bande de petits canaillous, voici en grande primeur (révisé par mon amie Martine Latulippe), le texte de ma lecture :

LECTURE PUBLIQUE
18 avril 2008
CONSEIL DES ARTS DU CANADA

Contexte :
J’écris actuellement une série historique pour les adolescents intitulée PIRATES. Le premier tome vient tout juste de paraître aux éditions Hurtubise-HMH. J’aimerais vous lire un extrait du deuxième tome, qui paraîtra l’automne prochain.
L’action se déroule au milieu du XVIe siècle, sur une île secrète de la mer des Caraïbes. Armand est le capitaine d’une bande de pirates français. Parce qu’il est toujours vêtu d’un manteau rouge, on l’appelle Cape-Rouge. Son vis-à-vis est Urbain, pirate lui aussi. Les deux hommes viennent de se retrouver après plusieurs années et évoquent des souvenirs communs.

Urbain demande à Armand :

— Comment es-tu parvenu, toi qui partageais mon destin, à devenir, quinze, seize ans plus tard, le pirate le plus craint des îles du Pérou ?

Cape-Rouge tourne vers Urbain un visage où il est inscrit dans chaque pli sur ses lèvres, dans chaque ligne autour de ses yeux, dans chaque goutte de lumière de ses pupilles, qu’il ne dira que ce qu’il a envie que l’on sache.

— Cette histoire est trop longue. J’ai vécu beaucoup d’aventures avant d’hériter de l’Ouragan et d’imposer le nom de Cape-Rouge dans le Nouveau Monde. Mais toi, Urbain, toi que j’ai côtoyé avec la mort pendant ce terrible hiver en terre de Canada, qu’as-tu fait depuis ?

— Oh, moi ! Tu sais, contrairement à toi, je ne fus pas rebuté assez de voyager avec ce marin de Saint-Malo, ce Jacques Cartier. J’aurais dû. Il n’avait pas suffisamment d’autorité sur les hommes, et il ne savait pas s’attirer les faveurs des Indiens. Cinq ans après notre mésaventure, je me suis embarqué avec lui pour son troisième périple au port de la rivière Sainte-Croix, près de Stadaconé. Quatre lieues plus loin, nous avons bâti un fort dans le dessein d’y établir la première colonie permanente en ce pays. Nous l’avons appelé Charlesbourg-Royal. Mais, pendant que notre capitaine, accompagné de quelques mariniers seulement, remontait le fleuve jusqu’à Hochelaga, le désœuvrement s’est emparé de ceux qui étaient restés au fort.

Urbain jette un regard de biais à Cape-Rouge, tel le coupable pris en faute.

— Armand, reprend-il, je n’étais pas mêlé à cette horreur, mais je n’ai rien fait pour l’en empêcher.

— De quelle horreur parles-tu ?

— Plusieurs parmi nous, à l’image des Espagnols en ces eaux du Pérou, persuadés que les Indiens n’ont ni âme à convertir ni cœur pour souffrir, se sont plu à expérimenter.

Une pâleur soudaine sur son visage trahit l’atrocité des images qui resurgissent dans la tête d’Urbain. S’impatientant qu’il ne poursuive pas, Cape-Rouge insiste :

— Et qu’ont-ils expérimenté ?

— Ils disaient pour se justifier : « Ce sont des Sauvages qui vivent dans la forêt ainsi que des bêtes. Ils sont tels des chiens, des cerfs, des ours, des vilains singes qui marchent sur deux pattes comme nous, mais ce ne sont pas des hommes. » Avec des haches, Armand, et leurs épées et des couteaux, ils ont coupé des bras et des jambes d’Indiens. Des têtes d’Indiens. Ils disaient chercher à instaurer chez les Sauvages une terreur à même d’en faire de bons serviteurs soumis. Ils disaient que le capitaine, à son retour, serait content de leur initiative. Ils prétendaient s’efforcer d’établir le pouvoir français en ce pays. Moi, Armand, je sais. Je sais que ces hommes s’amusaient simplement à passer le temps.
Ensuite, quand Cartier est revenu, les Indiens étaient devenus si hostiles à notre endroit que trente-cinq d’entre nous avaient déjà été massacrés. Nous avons dû rapailler nos biens et filer en abandonnant là nos beaux projets d’offrir à François 1ersa colonie en Canada.

D’un air impassible, Cape-Rouge fixe son ancien pair, dont le visage est plus pâle encore, les yeux plus fuyants, les lèvres plus frémissantes. Le maître de Lilith porte son gobelet à sa bouche en buvant lentement, laissant les images tourbillonner dans la mémoire d’Urbain puis, enchérissant un ton incrédule, il demande :

— Comment peux-tu me jouer cette comédie du témoin impuissant, prétendre le remuement quand, depuis ce temps, tu parcours les mers dans les bottes d’un pirate, trompant, volant, tuant ?

— C’est vrai, Armand, rétorque Urbain incontinent, je suis pirate et j’ai tué bien du monde, bien des innocents qui n’avaient commis, pour toute faute, que d’avoir croisé ma route. Mais je l’ai toujours fait dans le but de sauver ma peau ou de m’emparer de richesses. Je n’ai jamais tué pour le plaisir de la chose. Je n’ai jamais tué un Sauvage parce qu’il est un Sauvage, Armand. Je n’ai jamais coupé ni bras ni jambe de qui que ce soit dans le simple but de m’amuser de son expression horrifiée. Tu comprends ça, pas vrai ? Tu fais la différence entre un tueur et… et un malade.

Cape-Rouge blêmit, retenant avec peine quelques nouveaux tics qui agitent les muscles de son visage. Malade ! Est-ce cela ? Son esprit serait-il pourri, détraqué, à force d’user de violence pour asseoir son autorité ? À quel moment a-t-il fini par se plaire à voir souffrir ses victimes ? à les entendre gémir puis hurler ? À quel moment a-t-il usé de la torture plus pour s’en délecter que pour terrifier ses rivaux ?

Combien il a changé ces dernières années ! Combien il a trouvé confiance en ses moyens, en son intelligence, en ses capacités de commander, de jouter sur les mers ! Combien il a appris à leurrer ses proies, ses poursuivants, à frapper où on ne l’attend pas, à fuir par où on ne le surveille plus! Combien il a appris à devenir méchant !

— Tu crois que je suis malade, Urbain ?

Ce dernier remarque la pâleur de son vis-à-vis et comprend de la sorte l’accusation, voire l’insulte involontaire qu’il a proférée envers le maître de Lilith. Il se reprend vivement :

— Oh ! Non. Enfin… je veux dire… ni toi ni moi n’avons les mérites pour nous prévaloir du paradis, mais il doit bien se trouver différents paliers d’enfer, non ? Ce n’est pas possible que toi et moi côtoyions, pour l’éternité, les ordures qui accompagnaient Cartier, ou les Espagnols qui traitent les Sauvages pis que leurs chiens!

Cape-Rouge réplique:

— Je serai sûrement dans le même chaudron que les hommes de Jacques Cartier.



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